Non, ce n’est pas grâce à François Fillon que nous avons Internet en France

Amateur de nouvelles technologies, François Fillon pensait maîtriser sans problème sa visite au CES de Las Vegas en fin de semaine dernière. Pourtant, il a dérapé lors d’une interview

à la volée accordée au Quotidien. Dans les allées du salon, le reporter de l’émission l’interpelle sur son rival Emmanuel Macron, lui aussi technophile. Agacement de Fillon qui lâche :

« Qu’est-ce que monsieur Macron a fait en matière de technologie ? Qu’est-ce qu’il a fait ? Il a fait des choses ? Qu’est-ce que j’ai fait moi ? J’ai ouvert les télécommunications à la concurrence. Vous pensez qu’il y aurait de l’Internet en France si on avait toujours France Telecom avec des fonctionnaires ? Et qui s’opposait à cette réforme ? La gauche ! »

Cette déclaration a aussitôt été moquée par les socialistes et notamment Manuel Valls, candidat à la primaire de la gauche, qui s’est fendu d’un tweet sur le sujet :

Grâce à F.Fillon, je peux vous écrire ce tweet depuis Évry ?– Merci à France Télécom, son réseau, ses agents qui ont permis Orange/Free/SFR… pic.twitter.com/22kcge7bRQ

— Manuel Valls (@manuelvalls) 7 janvier 2017

La démonstration de François Fillon peut pourtant paraître rationnelle. Ministre des Télécoms de mai 1995 à juin 1997, il a été l’artisan de la loi n°96-659 de réglementation des télécommunications en France. L’homme politique part du postulat que la fin du monopole de France Telecom aurait permis l’émergence de nouveaux acteurs, eux-même facilitant enfin l’essor d’Internet en France. Tout cela malgré l’hostilité de la gauche opposée à la privatisation de France Telecom et celle de l’entreprise elle-même qui ne voulait pas d’Internet afin de continuer à protéger son minitel. Sans l’intervention de François Fillon, France Télécom serait restée publique et n’aurait pas accompagné le développement d’Internet en France. CQFD. Sauf que… cette démonstration est un raccourci, qui comporte plusieurs contre-vérités.

1- C’est l’Europe qui a imposé la libéralisation du marché

François Fillon n’est pas à l’origine de l’ouverture du marché des télécoms en France. C’est un projet de la Commission européenne qui a été entériné par le Conseil de l’Europe avec la résolution du 22 juillet 1993 prévoyant l’ouverture à la concurrence du service téléphonique public le 1er janvier 1998. La France n’avait pas le choix et devait se plier à deux directives : la 96/19/CE et la 96/19/CE. Il est vrai, en revanche, que l’actuel candidat de la droite à la présidentielle a ensuite porté la loi n° 96-659 de réglementation des télécommunications visant à les appliquer en France.

2- Juppé a forcé la main de Fillon pour privatiser France Telecom

Ministre des Télécoms à l’été 1995, François Fillon aurait été partisan d’une stratégie de changement progressif, selon Rémi Gilardin, un historien économiste qui a consacré un mémoire à La libéralisation des télécommunications en France. Fillon n’aurait pas voulu précipiter la privatisation de France Télécom et aurait tenu à la décorréler de l’ouverture à la concurrence. Le premier ministre de l’époque, Alain Juppé, aurait soutenu la thèse inverse, finissant l’emporter, en étant convaincu que l’ouverture à la concurrence imposait un changement de statut rapide. Mais ce fut bien à François Fillon en définitive de défendre cette délicate réforme contre la gauche, une opinion publique défavorable et des salariés remontés.

3- C’est une entreprise publique qui a créé Wanadoo en 1995

France Telecom est devenu fournisseur d’accès à Internet en 1995 avec la création de la filiale Wanadoo. Le service commercial fut lancé l’année suivante. L’affirmation de François Fillon selon laquelle il n’y aurait pas eu d’Internet avec France Telecom est donc fausse puisque la société s’est convertie à cette technologie, alors qu’elle n’avait pas encore été privatisée.

4- Internet a décollé en France grâce à l’ADSL et aux box triple play

François Fillon ne prétend bien évidemment pas être à l’origine de l’invention d’Internet ni de l’arrivée de cette technologie en France mais sous-entend être responsable de son adoption massive dans notre pays, grâce à la libéralisation du marché. Cela a permis, certes, de faire baisser les prix et de proposer une pluralité de services qui ont bénéficié aux consommateurs. Mais si Internet a décollé en France, c’est surtout le résultat d’une conjonction de plusieurs facteurs : l’arrivée de la technologie ADSL à partir de 1999 apportant enfin une vitesse de connexion confortable, des offres d’abonnement illimitées, des tarifs commerciaux abordables et l’émergence des box à partir de 2002.

L’ADSL, c’est France Telecom qui va le proposer en premier avec une offre Netissimo très chère pour l’époque. La même année, LibertySurf lance des offres bas débit illimitées et Free décline une formule sans abonnement, sans publicité ni communication surtaxée. En 2002, Free invente le concept de la box ADSL et impose un prix “tout compris” de 29,99 euros par mois. S’en suit la généralisation du “triple play” à 30 euros comprenant à la fois un accès à Internet, une offre de Télévision et un service de Téléphonie. N’en déplaise à François Fillon, ce sont bien les fournisseurs d’accès à Internet, avec leurs innovations technologiques et leurs offres commerciales, qui ont permis la pénétration massive du haut débit en France. En 2007, l’Arcep fera ainsi état de 14,8 millions d’abonnements Internet dans l’Hexagone, à mettre presque exclusivement au crédit de l’ADSL.

Et si Internet avait été Français ?

Pour finir, rappelons qu’il y eut des précurseurs d’Internet en France : des chercheurs de l’IRIA (l’Institut de recherche en informatique et automatique) qui avait lancé le programme Cyclades en 1971. Parmi eux, se trouvait le brillant ingénieur Louis Pouzin. Ce dernier a inventé le datagramme et conçu le premier réseau à commutation de paquets. Les travaux de Cyclades ont ensuite énormément servi à Vinton Cerf pour mettre au point le protocole TCP/IP. Mais arrivé au pouvoir, Valéry Giscard d’Estaing a supprimé les crédits de recherche des ingénieurs de l’IRIA pour favoriser les PTT et le développement du Minitel.